UNE ANNONCE DE DEMENAGEMENT … QUI REMET LE FEU AUX POUDRES.

Publié le par Bernadette Picazo

Après une vie entière passée à régner sur les lieux « la Dame » passe la main. Nous sommes en Médoc, où les traditions sont fortes. Ici, un patron, c’est un aristocrate qui se doit d’être représentatif.

Dès son arrivée, la nouvelle Directrice rate son entrée. Elle n’a pas le « look » patron. C’est son premier poste de direction, elle se la joue « cool » et tente un management copain.

-         « c’est pas une patronne, celle-là ! » murmure mezzo voce une voix dans le groupe du personnel.

En voulant faire table rase des habitudes précédentes, elle découvre des dysfonctionnements.

Avant d’avoir installé des relations de confiance avec son personnel, elle est perçue comme une menace.

Afin de se protéger, la totalité de personnel fait bloc contre elle et porte plainte auprès de l’organisme de tutelle. D’un conflit en interne, l'entreprise est entrée dans une grave CRISE ouverte sur l’extérieur.

Pour éclaircir la situation, j'ai utilisé le concept de : « défenses organisationnelles » (non-dits) popularisé par le chercheur, Chris Argyris (*)

Lorsqu’une situation est perçue comme menaçante (ici : arrivée d’une Directrice qui va découvrir tout ce qui ne va pas, et dont on ne parle pas, car chacun couvre un plus ou moins gros manque de l’autre) on utilise des mécanismes de défense organisationnels pour déplacer les problèmes.

Les mécanismes de défense organisationnels servent à détourner l’attention des dysfonctionnements et tenter d’évincer la Directrice menaçante.

Le discours porte sur autre chose que le vrai problème. Il y a dissimulation de la dissimulation. Les non-dits et les interdits de dire cachent le problème et les dysfonctionnements. Le fonctionnement du système est le problème du système.

La crise a été créée pour ne pas parler des problèmes laissés et couverts par l’ancienne Directrice. En parler reviendrait à être obligé de les traiter.

Les mécanismes de défense organisationnels sont facteurs de stress, de conflit latent et de risques psychosociaux. Dans cette entreprise une personne a servi de bouc émissaire et les arrêts de travail pour maladie et dépression étaient fréquents.

La nouvelle Directrice n’ayant pas été désavouée par ses instances supérieures, le calme est revenu. Le personnel ayant fait de lui-même un toilettage des passe-droits et des privilèges les plus criants afin d’assurer une certaine paix avec la nouvelle. Tout le reste est entré dans la clandestinité et les non-dits.

Une certaine guerre des tranchées avait stabilisé la situation.

 Les mécanismes de défense organisationnelle étaient toujours bien présents 5 ans après.

La nouvelle Directrice avait beaucoup de difficultés. Il y avait : eux et elle, en frontal. Seul le gardien responsable de l’entretien était son allié- délateur.

Les symptômes repérables d’un fonctionnement perdant/perdant étaient :

-         son management arbitraire et autoritaire.

-         Du côté du personnel : absentéisme, démotivation, stress, conflits, accusations, harcèlements, violences, vols…

C’est dans ce contexte, qu’une inspection du CHSCT est intervenue.

L’établissement a été déclaré vétuste et ne répondant pas aux normes de sécurité.

Construire à un autre endroit s’avérait être la meilleure solution.

 La Directrice a proposé de profiter de ce déménagement pour transformer son entreprise en établissement pilote en pointe dans son secteur d’activité.

 En prenant cette décision orientée vers la qualité de service et l’innovation, elle remettait le feu aux poudres.

Pour le personnel, ce nouveau changement (déménagement plus établissement pilote) représentait une nouvelle menace.

D’où la reprise de la guerre et le refus catégorique de tout le personnel d’envisager le déménagement.

Entre temps, la Directrice n’était plus nouvelle, elle avait pris des cours de management. Elle avait essayé diverses mesures qui avaient durci à la situation. De son côté, elle avait surtout tenté de passer en force. Elle en était devenue plus menaçante, ce qui avait renforcé les mécanismes de défense. Les non-dits étaient toujours là, il se passait des choses dans son dos.

 Maintenant, il fallait déménager. Virer tout le monde, était impossible.

Faire avec « eux » était obligatoire, mais comment ?

Suivant les recommandations de Chris Argyris, j'ai travaillé sur la forme et non sur le fond.

Pendant un an, j'ai formé tout le personnel à la communication (2 jours une fois par mois en semi résidentiel)

Sans la Directrice, j'ai :

-         travaillé la confiance entre le groupe et et  moi (Bernadette Picazo), puis entre collègues. Cette étape a pris du temps, car les blessures étaient profondes. Les mécanismes de défenses protègent mais coûtent cher à ceux qui sont pris dedans.

-       formé le personnel aux bases de la communication (écoute – reformulation – non verbal – interprétation…) Sans aborder le problème de fond (les dysfonctionnements et la non communication) les échanges à ce stade portaient sur le déménagement impossible : trop loin, pas bien choisi…

-         abordé la méta communication, c’est à dire communiquer sur leur façon de communiquer. A ce stade, ils savaient repérer les non-dits et les mécanismes de défense. L’important a été de maintenir l’observation sur le fonctionnement du système dans lequel tout le monde était pris, sans porter de jugement.

-         Les dysfonctionnements et les manquements ressortaient à chaque session, et faisaient l’objet de mises en situation, avec l’accord des personnes concernées. Le règlement de ce qui pouvait l’être se faisait dans l’inter session avec retour positif à la session suivante.

-         Puis le désir de s’entretenir avec la Directrice est arrivé.

Nous avons travaillé la forme et le fond.

Comment et quand lui demander de venir. Qui allait oser lui parler.

La longue liste des récriminations est devenue ouverture et appel au dialogue.

En présence de la Directrice :

            Le groupe recevait la Directrice sur le lieu de formation.

Les règles de communication mises en place ont permis d’établir un certain niveau de communication entre la Directrice et le groupe. Certains problèmes de fond ont pu être réglés en s’appuyant sur des faits.  Ma présence a permis à la Directrice de se détendre et de ne pas paraître trop menaçante et au groupe de rester communicant sans se réfugier derrière les mécanismes de défense habituels.

-         Lors des rencontres suivantes, la Directrice a pu mettre en valeur son projet, exprimer clairement ses intentions et ses motivations. L’innovation, le professionnalisme et la qualité de ses propositions ont pu convaincre les plus positifs qui ont entraîné les autres.

-         La communication rétablie permettait d’envisager une bonne cohésion d’équipe autour d’un projet devenu exaltant.

 Parallèlement la Directrice a suivi une formation à la communication en individuel ! mais pas de coaching...

Nous avons travaillé :

-         Sa peur du personnel.

-         Ses difficultés à les réunir tous et à communiquer avec eux.

-         Son management copain puis très directif.

-         Son image et ses comportements.

-         Sa difficulté à déléguer et à faire confiance

-         ...

 En conclusion : Un conflit peut en cacher un autre. Une crise ouverte peut cacher des mécanismes de défense. Seule la communication permet de mettre à jour les défenses organisationnelles et de leur faire perdre leur pouvoir. Cette approche permet de dénouer des conflits générateurs de risques psychosociaux avec élégance en rendant ce qui appartient à chacun.

(*)Chris Argyris, Savoir pour agir, surmonter les obstacles à l’apprentissage organisationnel. Interéditions, Paris, 1995. Et : Chris Argyris, Overcomming Organisational Defenses, Prentice Hall, New Jersey, 1990.

Publié dans Souffrance au travail

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